Avec une régularité de métronome, le père Adrien Candiard, dominicain, publie, depuis une dizaine d’années, de petits ouvrages (une centaine de pages) qui sont un régal pour l’intelligence et un réconfort pour le cœur.

Le dernier est une belle méditation sur le Sermon sur la montagne. Tous les prédicateurs, au moins une fois par an, s’affrontent aux Béatitudes: la promesse d’un bonheur qu’il faut tirer de la pauvreté du cœur, des larmes et des persécutions… pas très alléchant le programme ! La suite du discours n’est pas plus facile; on s’en tire par des pirouettes: Jésus n’a pas vraiment voulu dire ça, il ne faut pas prendre les recommandations à la lettre…

Le P. Candiard prend les choses autrement. L’introduction est empruntée au jeune homme qui pose une bonne question à Jésus, qui répond par une réponse qui peut passer pour banale, respecter les commandements, ce qui n’est déjà pas si facile. Vient ensuite une autre proposition autrement exigeante: le don de sa vie qui «n’est pas une option» (p. 19). Cette exigence de vie s’éclaire par le long discours sur la montagne, la loi nouvelle, dont l’auteur offre quelques pistes de lecture visant à en faire goûter la saveur.

Le bonheur c’est posséder le Royaume de Dieu qui est un don gratuit que nous devons accueillir en reconnaissant que nous sommes invités par amour. Comme à des noces. La comparaison est reprise plusieurs fois dans les évangiles. Reconnaissons que pour venir au festin il faut au moins avoir faim et se laisser recouvrir du vêtement de noce (Mt 22, 12-13).

Tel est le bonheur auquel nous sommes conviés, la loi nouvelle nous montre la direction. Elle n’a pas l’allure des préoccupations et des interdits de la loi de Moïse, elle ouvre «la voie des fils de Dieu». Elle est terriblement exigeante car elle ne se résout pas en faire ou ne pas faire; elle n’établit dans notre relation à Dieu une espèce de comptabilité dans laquelle nous serions ou pas en règle. La loi nouvelle «ouvre un espace infini de progrès» (p. 69). Le juste selon Jésus n’est pas celui qui remplit des cases et dresse un bilan mais celui qui «cherche au contraire à s’ajuster à cette direction qu’il entend suivre» (p. 70).

C’est la beauté de la loi, mais aussi sa difficulté, car elle touche notre vie avec ses grandeurs et ses faiblesses. Tout cela est terriblement humain. Comme le note avec justesse le P. Candiard «la foi du Christ marque le cœur, mais ne le remplace pas» (p. 77). Alors demeure l’amour infini de Dieu qui pardonne tout et invite l’homme à «apprendre à porter sur le monde le même regard bienveillant de Dieu» (p. 91). Nous pouvons aimer parce que nous sommes aimés.

Le bonheur c’est aimer, comme nous sommes aimés. Pour le dire autrement, il faut apprendre à devenir des fils. Une vertu est indispensable, «sans laquelle les autres vertus ne valent rien» disait saint Vincent Ferrier: l’humilité. Voilà peut-être la difficulté!

Tout le Sermon sur la montagne est compris comme « le long apprentissage par lequel nous pouvons authentiquement appeler Dieu ‘Notre Père’ » (p. 124). Programme de prédicateur?

Reste alors à se trouver sur les lieux mêmes, le mont des Béatitudes, contempler au lever du jour le lac de Tibériade et les collines de Galilée, et lire les chapitres 5, 6, 7 de l’évangile de Matthieu… puis surtout se taire et confier au silence la prédication.

Jean-Louis Gazzaniga

Adrien Candiard, frère Adrien en religion, né le 31 octobre 1982 à Paris, est un prêtre dominicain français. Vivant au couvent Notre-Dame-du-Rosaire du Caire, il en est le prieur conventuel. Il est également membre de l’Institut dominicain d’études orientales.
Il est ancien élève de l’École normale supérieure et de Sciences Politiques Paris. Il s’intéresse à la politique italienne et publie notamment L’Anomalie Berlusconi.
Avec Ismaël Emelien, Cédric O, Stanislas Guerini ou encore Benjamin Griveaux, il fait partie de l’équipe de campagne de Dominique Strauss-Kahn pour la primaire PS de 2006. Il quitte cette équipe de campagne en cours de route, inquiet des mœurs du candidat et en désaccord avec ses positions favorables à l’homoparentalité.
Il entre en 2006 dans l’ordre dominicain. En 2011, il écrit Pierre et Mohamed, monologue théâtral en hommage à Pierre Claverie, évêque dominicain d’Oran assassiné en 1996. Le spectacle est créé en 2011 au festival d’Avignon. Il rencontre un succès inattendu et est joué par la suite plus de mille fois, à Paris, Lyon, Rome, Bruxelles, Oran… Il est traduit en italien et en arabe, et représenté en Italie et au Liban. La version filmée d’un autre spectacle, Le Cinquième Évangile, remporte le prix Père Jacques Hamel en 2019.
En 2012, il rejoint le couvent du Caire et devient membre de l’Institut dominicain d’études orientales. Il soutient sa thèse de doctorat à l’École pratique des Hautes Études (Paris) en 2022. Il a publié plusieurs livres, concernant l’Islam, le dialogue interreligieux ou la spiritualité chrétienne.