Il y a cent ans, le 9 avril 1924, se tient à la villa Dupanloup[1], l’assemblée générale constitutive de l’Association diocésaine de Nice. Faisant suite aux accords Poincaré-Cerretti entre la France et le Saint-Siège, notre diocèse se dote d’un statut juridique qui met fin à des décennies d’un conflit politico-religieux parvenu à son paroxysme en 1905. Revenons sur cet épisode méconnu au travers des archives de Mgr Henri Chapon, évêque de Nice (1896-1925) et acteur de premier plan de ce processus à la fois diplomatique, politique et juridique.

[1] Depuis 1912, la villa Dupanloup abrite à la fois la résidence de l’évêque et les bureaux de l’administration diocésaine.

L’héritage de la Loi de 1905

Le 9 décembre 1905, la loi de Séparation des Églises et de l’État met un terme, sans accord préalable, au Concordat en vigueur depuis 1802. Le pape Pie X, dans son encyclique Vehementer nos du 11 février 1906, condamne ce texte et, quelques mois plus tard, s’oppose à la constitution des associations cultuelles telles que recommandées pour la gestion temporelle du culte. Le pape craint que la multiplication d’associations échappe et affaiblisse la hiérarchie de l’Église en France. À Nice, Mgr Chapon, qui n’a pas ménagé sa peine pour s’opposer à la loi de 1905, se montre toutefois favorable aux «cultuelles»[1], conscient qu’il faut que l’Église se dote rapidement d’un statut juridique. Minoritaire au sein de l’épiscopat et obéissant au pape, il se soumet à la décision pontificale mais continue sa réflexion dans un esprit de conciliation avec la République. Des années plus tard, en 1918, sous le pontificat de Benoît XV dont il est proche, l’évêque de Nice imagine un projet d’association selon la loi du 1er juillet 1901 et en édite une brochure pour qu’elle soit largement diffusée. Il propose ce texte au Saint-Siège mais la hiérarchie n’en donne aucune suite.

[1] L’article 2 prévoit que les établissements publics du culte, jusque-là chargés de la gestion temporelle, soient remplacés par des associations qui relèvent de la loi du 1er juillet 1901.

Malgré cet échec, le contexte d’après-guerre semble favorable à l’établissement d’un accord. En effet, à la faveur de l’Union sacrée[1], le gouvernement français cherche à renouer des relations diplomatiques avec le Vatican dès 1920. De son côté, Mgr Chapon s’attache les conseils d’hommes influents[2] capables de faire avancer la question du statut juridique de l’Église de France. En 1921, le prélat publie un ouvrage, l’Église de France et la loi de 1905. Réponses aux objections, préfacé par son ami Denys Cochin, qui propose un nouveau projet d’association cultuelle diocésaine. Bien accueilli par Benoît XV mais combattu par la majorité des cardinaux et archevêques de France, ce texte, à nouveau rejeté, permet toutefois de faire progresser positivement la réflexion. L’année suivante, convaincu du bien-fondé de son action, l’évêque de Nice expose à nouveau son point de vue dans un mémoire qu’il remet personnellement à Pie XI peu après son élection sur le siège de Pierre.

[1] Nom donné au mouvement de rapprochement politique qui a soudé la France de toutes tendances lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale.
[2] On peut citer l’abbé Ferdinand Renaud, Me Bernard Issautier, avocat au barreau de Nice, Denys Cochin, homme politique catholique, Mgr Boudinhon, recteur de Saint-Louis des Français à Rome.

Un statut juridique pour l’Église de France

Le rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège en 1921 crée les conditions favorables pour trouver un accord. Après des mois de négociations, le 18 janvier 1924, Pie XI publie l’encyclique Maxima Gravissimanque qui présente les bases de l’organisation du culte catholique en France au travers de la création des associations diocésaines. Présidées par les évêques, elles ont pour objet de «subvenir aux frais et à l’entretien du culte catholique, sous l’autorité de l’évêque, en communion avec le Saint-Siège, et conformément à la constitution de l’Église catholique»[1]. Heureux de voir aboutir un long combat, Mgr Chapon ne tarde pas à constituer l’Association diocésaine de Nice. Le premier registre des délibérations en date du 9 avril 1924 mentionne les 30 membres choisis par le prélat. Parmi eux, les curés des grandes villes du diocèse (Nice, Grasse, Vence, Puget-Théniers, Menton, Cannes et Antibes) mais aussi de nombreux avocats et notaires niçois (Me Issautier, Me Pascalis, Me Giletta de Saint Joseph). Le premier acte sera d’adopter les statuts qui, après de longues années de pourparlers, satisfont désormais la République et le Saint-Siège. La création de l’Association diocésaine semble être le dernier acte public de Mgr Chapon. Dès la deuxième réunion, le 5 décembre 1924, le prélat cède la présidence à Mgr Ricard, évêque auxiliaire et administrateur apostolique compte tenu «du très mauvais état de santé de Mgr Chapon»[2]. Ce dernier mourra un an plus tard.

[1] Article 2 du modèle de statuts d’association diocésaine proposé en annexe de l’encyclique Maxima Gravissimanque.
[2] Fonds de l’Association diocésaine de Nice, 17N02/5, registre des procès-verbaux, 1924-1937.

Cent ans après, l’Association diocésaine de Nice continue sa mission telle qu’elle a été définie par les statuts de 1924. Notre diocèse, par l’action diplomatique, politique et juridique de son évêque, a été au cœur des débats tant au niveau de l’État que du Saint-Siège. L’année prochaine, nous aurons l’occasion de revenir de façon plus approfondie sur cette question et sur ce long épiscopat autour de l’exposition Un prélat face aux défis de la modernité. Centenaire de la mort de Mgr Chapon (1925-2025) au Centre diocésain d’art sacré à Nice.

Gilles BOUIS,
Archiviste diocésain