PAR LAURENT-CYPRIEN GIRAUD, TITULAIRE DE L’ORGUE DE L’ÉGLISE SAINTE-DÉVOTE, MONACO.

Les « Noëls variés » forment un genre unique dans la musique pour orgue des XVIIe et XVIIIe siècles en France. Alors que les livres d’orgue classiques se composent principalement de versets brefs – prévus pour alterner avec le chant grégorien suivant le cérémonial imposé par Clément VII à la suite du Concile de Trente –, les Noëls variés sont d’une toute autre nature. Fondées sur des airs populaires issus de la tradition orale, ces pièces se parent d’une touche narrative et locale qui contraste avec l’abstraction des œuvres plus solennelles du répertoire classique pour orgue, destinées à alterner avec le chant grégorien.

Ce genre s’appuie sur la forme de la variation, chaque Noël étant orné et traité de multiples façons par le compositeur qui est aussi un organiste et un improvisateur. Les variations transforment une mélodie simple par des procédés de virtuosité ou adoptent les formes typiques de la musette ou de la pastorale. Aussi des titres comme Noël suisse, Noël provençal, Tous les bourgeois de Chartres, ou l’évocation des sonorités pittoresques du hautbois ou du tambourin, rappellent avec vivacité les traditions régionales.
La veillée de la messe de minuit reste le moment privilégié pour interpréter les Noëls variés, mais ce n’est pas le seul. J’aime prolonger ce répertoire au-delà de l’Épiphanie, bien que la réforme liturgique ait raccourci le temps de Noël, autrefois étendu jusqu’au 2 février. Aujourd’hui, les concerts de Noëls se tiennent surtout en décembre, mais si l’occasion de jouer en janvier se présente, j’ajoute volontiers un Noël au programme.
Noel provencale
noel orgue

Orgue, clavecin, luth, violes, violons, et flûtes

De nombreux témoignages historiques rappellent d’ailleurs que ces œuvres ne restaient pas confinées à l’église ni dans le temps de Noël ; leur succès dépassait souvent le cadre liturgique. À la cour, par exemple, on ne se contentait pas d’entendre Daquin jouer des Noëls aux offices. L’abbé Fontenai rapporte que « Monsieur le duc de Rochechouart lui demanda un jour d’interpréter des Noëls lors d’une après-midi privée, où Daquin joua à l’orgue de la chapelle devant une assemblée brillante ». Les livres de Noëls eux-mêmes se sont adaptés à cette popularité : dès les premières publications au XVIIe siècle, ils étaient présentés comme pouvant être interprétés non seulement à l’orgue mais aussi aux clavecin, luth, violes, violons, et flûtes. À la fin du XVIIIe siècle Balbastre publie un recueil de Noëls où il n’est plus mention de l’orgue mais uniquement d’instruments domestiques de son temps, le clavecin et le forte piano.

Aujourd’hui, l’écoute d’enregistrements prolonge d’ailleurs cette tradition en ramenant ces œuvres dans le cadre familial. Mon premier contact avec ce répertoire s’est fait par l’enregistrement de Pierre Bardon sur l’orgue de Saint-Maximin ; d’autres interprètes comme René Saorgin, Marie-Claire Alain et, plus récemment, Olivier Beaumont, ont aussi gravé des disques mémorables. Grâce à ces enregistrements, on peut savourer chez soi toute la richesse et la variété de ces Noëls, sans attendre la messe de minuit. Leur écoute est aussi une belle manière de se préparer intérieurement à la fête ou de prolonger son atmosphère bien au-delà du 25 décembre.

Ressource vivante

Dans un autre genre, Marc-Antoine Charpentier a brillamment illustré le potentiel de ces airs populaires dans sa Messe de Minuit. Dans cette grande œuvre du répertoire, il intègre ces mélodies au cœur de la liturgie et les élève à un niveau de raffinement inédit grâce à son sens du contrepoint et à ses combinaisons instrumentales et vocales. La Messe de Minuit de Charpentier témoigne ainsi d’une double filiation : celle des chants traditionnels de Noël et celle de la grande musique sacrée, unissant avec brio le populaire et le sacré pour faire naître une œuvre inouïe.

Aujourd’hui, bien que ces mélodies aient été supplantées par d’autres chants, elles conservent un charme intemporel et une puissance d’évocation qui rappellent instantanément Noël. Il est encore possible d’en entendre certaines dans nos paroisses ; le cantique Venez divin Messie, par exemple, reprend un ancien Noël populaire, Laissez paître vos bêtes, qui a été « varié » par de nombreux compositeurs.

Ces Noëls variés continuent donc d’être une ressource vivante, non seulement pour célébrer la Nativité mais aussi pour raviver l’esprit d’un Noël à la fois simple et festif, reliant les siècles par des mélodies familières et joyeuses.