Relire le Vendredi saint jusqu’au Jour de Pâques, par le père Alfonso Bartolotta, omi, au sanctuaire diocésain du Sacré-Cœur de Nice.
Depuis le début des «Vendredis du Sacré-Cœur» -au sanctuaire de Nice, le 10 février- nous avons eu la chance de nous retrouver et de faire huit étapes pour approfondir notre foi, pour cheminer dans l’espérance et pour vivre le Carême autrement, grâce aux conférences-témoignages, à l’Expo «Visage(s)», à la célébration du pardon et à la représentation théâtrale «L’Homme qui marche» de Christian Bobin, avant-première et seul-en-scène jouée par Jacques Langlet, omi.
Lors de l’exposition «Visage(s)», les 28 clichés d’Alfonso Bartolotta, omi, tous accompagnés d’un proverbe ou d’un dicton, y compris de la traduction et du sens, nous ont fait don de la richesse du peuple Seerer vivant au Sénégal. En descendant dans la salle, tout visiteur, croyant ou non, était invité à «descendre» dans son intériorité, à découvrir et à parcourir un triple chemin: sensoriel, spirituel, symbolique. Le but de cette exposition était de retracer l’itinéraire de toute vie humaine: la naissance et la croissance, l’âge adulte, la vieillesse et la mort. Voir et regarder, admirer et contempler beaucoup de visages d’hommes, de femmes, d’enfants qui évoquent et interpellent aussi notre propre humanité, notre culture, notre manière de vivre et de croire. En définitive, témoigner que, partout dans le monde, tout peuple est unique et porteur de richesse.
La dernière photo était un coucher de soleil et le dicton Seerer nous livrait le message: «A yengangaa a feeda» (Quand arrive la nuit, le jour commence).
Aujourd’hui, c’est le neuvième vendredi, un vendredi pas comme les autres. Il s’agit du Vendredi saint, selon la tradition chrétienne. Pour Jésus, le Christ, présenté dans les évangiles, comme «le Verbe qui s’est fait homme» (Jn 1, 14), «L’Emmanuel, le Dieu-avec-nous» (Mt 1, 23), celui qui annonçait la Bonne Nouvelle en parcourant les villages et les régions, celui qui aimait marcher sur les chemins des hommes, celui qui cherchait à croiser les regards des exclus et des rejetés, celui qui «Là où il passait, il faisait le bien» (Ac 10, 38), aujourd’hui «son heure est arrivée où tout est accompli» (Jn 12, 23 ; 19, 30).
«C’était déjà environ la sixième heure (c’est-à-dire midi) quand, le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur toute la terre» (Lc 23, 44). Pour Jésus, «quand arrive la nuit», -et pourtant c’était midi- oui, comme pour nous, il y a des jours, dans notre vie personnelle, familiale, professionnelle, spirituelle, ecclésiale, etc., où non seulement à midi mais aussi dès le matin arrive la nuit… Et cela, pour différentes raisons. Pour Jésus, quand arrive sa nuit, c’est-à-dire le terme et la fin de son pèlerinage sur terre, dans notre monde, tout n’est pas terminé, tout n’est pas fini car «le jour commence».
Nous en avons les témoignages par les quatre évangélistes :
Chez Matthieu: «Après le sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent pour regarder le sépulcre» (Mt 28,1).
Chez Marc: «De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil» (Mc 16,2).
Chez Luc: «Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés» (Lc 24, 1).
Chez Jean: «Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin» (Jn 20,1).
Il s’agit d’un mystère insondable, depuis toujours incompréhensible et inexplicable aux humains que nous sommes «car rien n’est impossible à Dieu» (Lc 1, 37). Oui, grâce au grand don de la foi, «le jour commence.»
Chez Luc: «Les femmes trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau. Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Alors qu’elles étaient désemparées, voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol. Ils leur dirent: «Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? Il n’est pas ici, il est ressuscité» (Lc 24, 2-6).
Chez Marc: «Les femmes se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau?» Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande. En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit: «Ne soyez pas effrayées! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié? Il est ressuscité: il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre: “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez» (Mc 16, 3-7).
Quel écho étonnant au récit de la Genèse: «Il y eut un soir, il y eut un matin» (Gn 1, 5). La Bible, comme la langue Seerer, ne se sont pas trompées: c’est bien de la nuit au jour que se vit le passage, et non l’inverse… L’Église ne s’est pas trompée non plus! Elle offre à la lecture ce récit de la Création, chaque année, lors de la Vigile Pascale, Nuit où tous les chrétiens célèbrent le passage de la mort à la vie du Christ Jésus.
Aujourd’hui, nous sommes invités à contempler le Visage du Christ, à regarder attentivement la belle mosaïque de l’arc de voûte dans notre sanctuaire, réalisée par Ivanna et Jean Lemaître, en 1961. Nous voici, toutes et tous, invités à «lever les yeux vers celui qu’on a transpercé» (Jn 19, 37). Le Christ est représenté dans sa nudité humaine, émacié, au visage ascétique, les trois plaies bien visibles: voilà le Visage du Christ souffrant et crucifié. Quel écho étonnant encore à l’annonce -il y a très longtemps- du prophète Isaïe: «La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme (…) Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris» (Is 52, 14 ; 53, 3-5).
Mais ce n’est pas tout. «Mon serviteur réussira, dit le Seigneur; il montera, il s’élèvera, il sera exalté! (…) Il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes» (Is 52, 13 ; 53, 11). C’est pour cela que le Christ est aussi représenté avec les yeux grands ouverts (comme sur les icônes d’Orient) sur une Croix blanche, croix de Lumière d’où sortent deux rayons lumineux: voilà le Visage du Christ transfiguré et ressuscité.
C’est alors que tout bascule car lorsque nous «regardons Celui qu’on a transpercé», en fait, c’est d’abord Lui -le Ressuscité- qui nous regarde, qui regarde chacune et chacun de nous, avec ses yeux pleins de tendresse et de miséricorde, reflet de son «Sacré-Cœur», de ce «Cœur qui a tant aimé le monde», notre monde d’aujourd’hui et celui de demain.
Dans ce sanctuaire, non seulement dans la mosaïque mais aussi sur la croix en bronze, réalisée par M. Gazan, en 1961, le Christ est représenté bien debout. Sa tête n’est pas penchée d’un côté, ses bras et ses jambes ne sont pas non plus pliés. J’oserai presque dire -j’espère ne choquer personne- qu’il se tient droit, dans le sens qu’il tient en main et sous son contrôle la situation injuste et absurde qu’il est en train de traverser. Autrement dit, qu’il gère parfaitement en maîtrisant consciemment et avec assurance cet inéluctable tournant, ce passage-Pâques obligé, tout simplement -comme il avait déjà annoncé- «car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé» (Jn 6, 38).
Comment ne pas penser à ce dialogue dans l’évangile de Jean: «Des Juifs l’interpellèrent: «Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi?» Jésus leur répondit: «Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai.» Les Juifs lui répliquèrent: «Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais!» Mais lui parlait du sanctuaire de son corps» (Jn 2, 18-21).
Oui, entièrement et jusqu’au bout, vrai et cohérent, conforme à ses paroles, il se tient debout car l’amour, évidemment, est plus fort que la mort et, en définitive, le dernier mot revient toujours à l’amour. «Mon commandement, le voici: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime» (Jn 15, 12-13).
De son vivant, Jésus marchait partout à la rencontre des autres, sans distinction. Après sa mort, le Christ, à jamais vivant, nous précède partout dans le monde. Le Ressuscité nous exhorte à rester debout dans la foi, même dans les moments difficiles de la vie, et à marcher pour aller à la rencontre des autres, sans distinction. «Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre» (Ac 1, 8).
C’est notre tour maintenant, nous sommes, toutes et tous, invités à marcher, à mettre nos pas dans les pas de Celui qui «Là où il passait, il faisait le bien» (Ac 10, 38). «À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (Jn 13, 35).
Alfonso Bartolotta, omi
Nice, le 07 avril 2023
Sanctuaire diocésain du Sacré-Cœur
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