Il est des questions qui changent le cours d’une vie. Sébastien Frisina en a fait l’expérience, à l’âge de 40 ans. Dimanche 18 juin 2023, à la fin de la messe d’ordination, le nouveau diacre en vue du sacerdoce a particulièrement remercié ce souffleur d’avenir, celui qui était curé d’Antibes en 2015. «Le chanoine Paul Chalard, un jour, m’a posé une question qui a bouleversé ma vie, qui m’a interpellé et, pour faire simple, est à l’origine de mon entrée au séminaire. J’ai souvent dit que c’était à cause de toi que j’étais entré au séminaire. Maintenant, je dis que c’est grâce à toi que j’y suis entré.»
Quittons Nice, la cathédrale Sainte-Réparate, pour Antibes et sa cathédrale de l’Immaculée-Conception. Une ville où Sébastien naît le 25 mars 1975, prématuré, en compagnie d’un faux-jumeau, pour la fête de l’Annonciation; où son arrière-grand-père maternel, patron-pêcheur, construisait des pointus en bois dans le boulevard d’Aguillon. Ses parents, éloignés de l’Église, n’ont pas de pratique religieuse, lui-même n’est pas baptisé enfant. La famille vit dans le vieil-Antibes; un quartier, il y a quarante ans, à l’atmosphère de village. «Quand j’étais petit, on jouait tout le temps dans la rue, avec les copains du quartier. Souvent, au moment de rentrer, je faisais un saut à la cathédrale. Je me mettais devant la statue du Sacré-Cœur, je lui parlais. Je ne connaissais rien, j’avais plein de questions; ça me plaisait.» Les églises l’attirent.
Vers l’âge de huit ou neuf ans, Sébastien part en Corse. Son père, plombier, devait finir un chantier chez un ami. «Il y avait une petite église. La seule chose dont j’avais envie, c’était d’y entrer. Je suis allé voir la maman de l’ami de mon père, elle m’a dit qu’il y avait une petite porte ouverte sur le côté.» La porte poussée, l’enfant tombe nez à nez avec la statue du patron du village : saint Sébastien! «Cette église a toujours été importante pour moi, avec son odeur caractéristique. Pendant des années, j’en ai rêvé : elle avait été changée à l’intérieur. Ça me faisait du souci, j’avais peur de ne plus la trouver comme je l’avais vue.» Petit à petit, la religion prend de l’importance dans sa vie; les questions se bousculent, sans réponse.
Une foi grandissante
«À Antibes, une vieille dame tenait la Librairie catholique. Elle vendait aussi les fournitures scolaires. Donc, à la rentrée, les grands-mères du quartier l’aidaient à faire les commandes, etc. Ma grand-mère y allait. C’est comme ça que j’ai connu cette dame, très gentille, dévouée à sa boutique. Tout le monde l’appelait ‘Marraine’.» Un jour, à 12 ou 13 ans, Sébastien entre dans la librairie religieuse. «Marraine, parle-moi de Dieu… Elle m’a offert une Bible pour enfants. Puis, j’ai rencontré le père Trotabas, qui est resté curé pendant seize ans à Antibes; et j’ai commencé à aller à la messe, tout seul, les dimanches à la cathédrale. De temps en temps, je passais déposer une bougie, allumer un cierge.»
Adolescent, il s’intéresse, se documente, mais il ne suit pas une catéchèse avec d’autres jeunes. «Le père Trotabas a vu que j’étais un peu long à la détente, qu’il fallait me laisser le temps, ne pas me brusquer. C’était une chose tellement personnelle que je ne me sentais pas de la partager.»
Notre-Dame-de-Bon-Port
Sa foi, Sébastien va la pratiquer notamment en s’investissant dans la vie du sanctuaire de la Garoupe; et en portant la Vierge lors des fêtes de Notre-Dame-de-Bon-Port. «Je connaissais la Garoupe, la chapelle, la statue, mais je ne connaissais pas ces fêtes plus que ça. Parce qu’au mois de juillet, quand j’étais petit, ma mère nous envoyait à la montagne avec ma grand-mère.» C’est en 1992, à 17 ans, qu’il découvre ces fêtes. En parallèle, il a commencé à sortir en mer avec la vedette de sauvetage, dont le pilote deviendra son parrain de baptême.
«L’équipier, lui, était à la corporation des marins d’Antibes. Il m’y a fait entrer pour porter la Vierge lors des processions. Je l’ai portée pendant trente ans. C’est elle qui, petit à petit, a dû m’amener à son Fils.» En 2022, une page s’est tournée. Sébastien, dans un geste symbolique, a déposé sa vareuse sur le brancard. En 2023, il a participé aux fêtes en tant que diacre. «J’ai prêché à la première et la dernière messe.» Il est encore vice-président de la corporation.
1995 et 2015, années charnières
Les études? Pas au goût de Sébastien. «J’ai redoublé la cinquième et, en troisième, j’ai loupé mon brevet des collèges. Je voulais arrêter l’école, je ne savais pas quoi faire. Ma mère m’a dit ‘d’accord, mais alors tu travailles’. J’ai fait deux ans d’apprentissage de plomberie, j’ai eu mon CAP et j’ai travaillé deux ans avec mon père. Ça ne me plaisait pas du tout.» En 1995, deux changements majeurs ont lieu dans la vie de celui qui vient d’avoir 20 ans. «J’ai été baptisé, le 8 juillet. Et j’ai eu l’opportunité d’entrer à la mairie d’Antibes, le 1er août. J’ai été chauffeur du maire pendant vingt-deux ans.»
Antibes… Chauffeur… Porteur… Et survient donc, vingt ans plus tard, cette question du père Chalard: «Avez-vous déjà pensé à devenir prêtre?» La même semaine, Gilbert Gauthier, diacre permanent, lui pose la même question… pour le diaconat permanent. Ils s’étaient connus lors de la préparation à la confirmation, sacrement qu’a reçu Sébastien en 2008. «Ce double-appel de l’Église m’a bouleversé.»
Réponse
Au diacre, Sébastien répond qu’il n’y a pas pensé; au curé, il répond non, dans un premier temps. «Je me sentais tellement illégitime que je n’arrivais pas à en parler.» Deux choses l’empêchent de se projeter. «La première, c’est que je ne pensais pas avoir les capacités intellectuelles parce que je n’ai pas fait d’études. La seconde, c’est qu’il fallait partir d’Antibes.» Quelques jours plus tard, il annonce finalement à son curé avoir déjà pensé à devenir prêtre. «De là, a commencé ensemble une réflexion, pendant un an et demi.»
En octobre 2016, Sébastien rencontre Mgr Marceau à l’évêché. «Je lui ai raconté tout mon chemin.» Un déclic. «J’ai téléphoné à ma mère quand je suis sorti de l’évêché. Le fait d’avoir parlé avec l’évêque m’a complètement ouvert. J’ai pu en parler à tous mes proches.» Pour continuer à discerner l’appel, l’évêque lui conseille de prendre une année sabbatique pour faire une année de propédeutique au séminaire d’Orléans. «Où la propédeutique est spécifique aux gens qui, comme moi, n’ont pas fait d’études. Ils bénéficient d’une remise à niveau intellectuelle. Ce n’est pas très glorieux comme appellation, mais c’est ça.»
Devant la cathédrale d’Antibes, Sébastien, Gustavo et Alexis entourent Mgr Marceau venu faire ses adieux, mai 2022.
Nouveau cap
2 février 2017, jour de la fête de la Présentation de Jésus au Temple. Sébastien a rendez-vous à Cannes avec le père Didier Dubray. Le responsable diocésain des séminaristes lui confirme que, pour avancer, une seule option se présente: Orléans. «Je suis allé prier devant le Saint-Sacrement, dans l’église du Christ-Roi. Coïncidence providentielle, le père Chalard m’avait confié que c’était dans cette église qu’enfant de chœur il avait eu la vocation.» Après trois-quarts d’heure de prière, Sébastien décide d’entrer au séminaire. «Je ne voulais pas regretter de ne pas avoir discerné. Il fallait que je fasse quelque chose pour savoir si j’étais appelé ou pas par le Seigneur à devenir prêtre. Je ne pouvais pas continuer ma vie sans savoir.»
Un point l’aide beaucoup à prendre cette décision, la durée du congé sabbatique dans la fonction publique territoriale. «Jusqu’à dix ans, c’est une sécurité énorme. Donc, je suis parti tranquille, en me disant: dans un mois, on me dira que ce n’est pas pour moi et je reprendrai ma vie normale. Car j’avais une vie confortable, j’étais très heureux. Je n’ai pas fait cela par dépit. Les gens pensent que tu as une déception amoureuse, tu entres au séminaire.» Sébastien entre au séminaire en septembre. Il a 42 ans.
Orléans
«J’étais très bien accompagné, avec un accompagnateur spirituel, le père Benoît de Mascarel, et un recteur extraordinaire. C’est en propédeutique que j’ai découvert les bases de la philo, que j’ai ouvert l’Ancien Testament. Car, quand j’étais jeune, je lisais plutôt les évangiles.» Mais l’incertitude demeure à la fin de cette année. L’évêque accepte que Sébastien continue à Orléans en premier cycle (1ère et 2e année). Temps de prière, oraison personnelle, offices, messe, études… «Tout ça aide à faire grandir ta foi, parce que tu comprends mieux les choses. Un chrétien qui ne se forme pas, il n’avance pas. Entre la formation et ma vie spirituelle qui a grandi, cette intimité avec le Christ a pris de l’ampleur dans ma vie.» Il y a aussi des activités apostoliques, catéchisme en paroisse, messe des familles, aumônerie des étudiants, aumônerie d’hôpital.
«Ces années à Orléans ont été les plus dures de ma vie, et aussi les plus belles. J’ai senti qu’il y avait quelque chose que je ne trouverai pas ailleurs.» Sébastien n’envisage plus de repartir à la mairie d’Antibes. À la fin de la deuxième année, il adresse sa demande d’admission à Mgr Marceau, afin de devenir officiellement séminariste pour le diocèse, candidat au sacerdoce. «Quand j’ai écrit cette lettre, j’ai pris la mesure de ce que c’était. Je pensais profondément ‘je suis appelé par le Christ à être prêtre’.» Prêtre diocésain pour le diocèse de Nice.
Après Orléans, Sébastien a continué sa formation (second cycle) au séminaire Saint-Luc, à Aix-en-Provence, avec Gustavo Gonzalez Maturana et Alexis Barraza Diaz; Église des Alpes-Maritimes n°112-juillet-août 2023 va à la rencontre de ce séminaire. De plus, dans le magazine n°107-février 2023, Sébastien nous parle de son insertion paroissiale (dossier sur le doyenné du Pays de Grasse). Le 19 septembre 2021, le séminariste a reçu les ministères institués de lecteur et d’acolyte, par Mgr Marceau. C’était au sanctuaire Notre-Dame-de-Laghet, lors du lancement de l’année pastorale et la consécration du diocèse à l’Esprit Saint. Le 18 juin 2023, à la fin de la messe d’ordination, Mgr Nault a nommé le nouveau diacre au service de la nouvelle paroisse Saint-Arnoux. En parallèle, Sébastien poursuit sa formation au séminaire Saint-Luc.
«Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.»
La devise choisie par Sébastien pour son ordination est extraite de l’Évangile selon saint Luc (10, 21). Un verset que l’on trouve aussi, mot pour mot, dans l’Évangile selon saint Matthieu (11, 25). «En propédeutique, quand on étudiait la Bible en cours d’exégèse, on était tombé sur ce verset. Ça m’avait titillé parce que je me considère comme un petit, illégitime pour être prêtre. Le fait d’y être arrivé, ça montre que c’est ouvert à tout le monde.»
Le 18 juin 2023, Sébastien a eu pour grande joie de partager ce moment avec ses frères séminaristes, Gustavo, ordonné, comme lui, diacre en vue du sacerdoce, et Alexis, ordonné prêtre, par Mgr Jean-Philippe Nault. «On s’est suivis pendant ces années, c’est une amitié, une fraternité extraordinaire, une grande grâce! Comme dit très bien Alexis: ‘je ne suis pas prêt mais je suis disponible’. C’est magnifique, j’ai repris ces termes plusieurs fois. Il faut toujours s’en remettre entre les mains de Dieu. Il nous amène là où il veut que l’on aille… C’est très dur de s’abandonner. Mais on a aussi notre part de travail à faire. Et il faut garder l’humilité de se dire: je ne suis peut-être pas digne, j’ai des insuffisances, mais il est venu me chercher. Donc, il faut lui faire confiance.»
Denis Jaubert
Au cœur de la messe d’ordination du 18 juin 2023
en la cathédrale Sainte-Marie-Sainte-Réparate à Nice.