Après deux années perturbées par la pandémie, le Festival de Cannes qui fête cette année son 75e anniversaire, s’est ouvert dans un contexte d’inquiétude pour l’avenir des salles de cinéma. En France, 7 mois de fermeture ont créé un désintérêt pour la projection en salle (environ 40% de moins d’entrées d’après le CNC) au profit d’abonnements de plateformes de vidéos à la demande. Cela fragilise particulièrement le cinéma d’auteurs. Heureusement que les festivals sont là pour révéler les œuvres récentes, le cinéma d’aujourd’hui et de demain.
Photos : SignisFrance.

 

À Cannes cette année, les festivaliers sont revenus, environ 40.000 accrédités de tous pays, sauf la Russie. Plus de cent films sont présentés en sélection officielle dont vingt et un longs métrages en compétition, section dans laquelle seront remis les prix de la Palme d’or et du Jury Œcuménique.

La soirée d’ouverture: cérémonie émouvante tournée vers le monde, social et politique
– D’abord le discours du président du grand Jury, l’acteur Vincent Lindon, discours inattendu, engagé, avec des paroles fortes telles que: «Ne devrait-on pas de cette tribune évoquer les tourments d’une planète qui saigne, qui souffre, qui étouffe et brûle dans l’indifférence des pouvoirs?» ou «Doit-on porter haut et fort la parole des sans voix?» ou encore «Pouvons-nous faire autre chose qu’utiliser le cinéma comme une arme d’émotion massive pour réveiller les consciences et bousculer les indifférences?».
– Ensuite, la Palme d’honneur remise à Forest Whitaker pour sa carrière. L’acteur américain, maintes fois primés, est un pacifiste convaincu, envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix et la réconciliation. Il dit «Le cinéma aide à donner un sens au monde». Il est aussi venu présenter le documentaire qu’il vient de produire «For the sake of peace» (Au nom de la paix), mon coup de cœur de ce Festival, film que je présente plus loin.
– Enfin, l’intervention surprise, sur grand écran, du président ukrainien Volodymyr Zelenski qui a su, dans son discours poignant ménager l’histoire du cinéma et celle de la politique, se référant à Charlie Chaplin et à son film «le dictateur», en disant «Nous avons besoin du cinéma et de la liberté. Gloire à l’Ukraine!».

Le 48e Jury œcuménique
Les jurés
Depuis 1974, INTERFILM (Organisation protestante international du cinéma) et SIGNIS (Association catholique mondiale pour la communication) nomment six jurés: chrétiens engagés, journalistes, théologiens, enseignants. Ces jurés voient et analysent tous les films en compétition. Ils délibèrent en toute indépendance. Cette année INTERFILM a nommé Waltraud Verlaguet (France) présidente, Praxedis Bouwman (Pays-Bas) et Dietmar Adler (Allemagne). SIGNIS a nommé Monique Beguin (France), Mariola Marczak (Pologne) et Irina-Margareth Nistor (Roumanie).
Les critères
Le jury encourage les films qui expriment des qualités humaines positives, illustrent les valeurs de l’Évangile telles que la dignité humaine, la solidarité avec les plus faibles ou opprimés, la justice et la paix, la réconciliation, la sauvegarde de la création, et qui interpellent nos choix de société.

Présence et témoignage œcuméniques
– Messe et culte du Festival: chaque juré participe à la liturgie de son Église, ensuite protestants et catholiques se retrouvent ensemble pour partager le verre de l’amitié. Les catholiques accueillaient Monseigneur François Touvet, président du Conseil Épiscopal pour la communication des évêques de France (CEF) et les protestants le Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF).
– Célébration œcuménique: elle se tenait cette année à l’église anglicane avec une prédication du délégué régional œcuménique; le père Marius Piecyk, et suivie d’une collation offerte par la mairie de Cannes.
– Réception à la mairie de Cannes: le maire de Cannes, Mr David Lisnard, qui est aussi Président de l’Association des 36 000 maires de France, nous accueillait, comme chaque année, dans son bureau, toujours avec chaleur, enthousiasme et amitié.

Prix du jury œcuménique
Broker (Les bonnes étoiles) de HIROKAZU KORE EDA (Corée du Sud) – 2h09
Ce réalisateur a déjà reçu une palme d’or en 2018 pour son film «une histoire de famille» et une mention spéciale du Jury œcuménique en 2013 pour «Tel père, tel fils». Pour son retour à Cannes, le cinéaste japonais touche au phénomène coréen connu des «boites à bébé». Dans ce road movie, l’abandon occupe une place centrale et aussi la culpabilité, l’amitié, l’adoption, la famille… On passe de la comédie au drame, autour d’un enfant, qui bouleverse la vie de chacun. On est gagné par l’émotion lorsque chacun se remercie d’être né avant de reprendre sa route. HIROKAZU KORE EDA filme avec tendresse ces malmenés de la vie et dit «Je voulais que le film puisse clairement signifier que chaque naissance compte, que chaque vie a sa place», en ce sens le film traite de la vie. C’est aussi une belle leçon d’amitié et d’humanité.
Les motivations du Jury œcuménique
Quand un bébé est abandonné dans la « boite à bébés » d’une église, deux hommes essaient tout d’abord de le vendre, les filles valant moins que les garçons. Mais quand la mère revient, une tout autre histoire se déploie. Le film montre, de façon très intime, comment une famille peut exister sans les liens du sang. Les vies et les âmes sont protégées dans un environnement sécurisant crée par trois adultes et un garçon orphelin autour du bébé, malgré le passé difficile vécu par les protagonistes. Tous doivent affronter leur culpabilité avec toute leur vulnérabilité. Lors d’une conversation touchante entre deux adultes, dont l’un a été abandonné à la naissance et l’autre ayant abandonné son enfant, se dessine une forme nouvelle de « pardon par procuration ».

Mon coup de cœur
For the sake of peace (Au nom de la Paix) de Christophe Castagne et Thomas Sametin – 1h34
Présenté hors compétition et produit par Whitaker Peace and Development Initiative
Le Soudan est le plus jeune état au monde. Depuis sa création en 2011 il y a eu plus de 350 :000 morts. Comment est-ce possible?
Le Soudan du Sud: deux clans, deux montagnes, et une rivière commune. Les clans s’affrontent, volent le bétail à la rivière, pour constituer fortunes et dots de mariages, et tuent les éleveurs… Le chef de l’un des clans dit avoir tué 1.000 personnes ces 5 dernières années. Pourtant, dans ces conflits déclenchés par l’un ou l’autre clan, un espoir apparait : la détermination de jeunes femmes et hommes qui refusent de renoncer à la paix.

Conclusion
Une année riche en films très divers, une grande sélection pour les ciné-clubs et groupes de cinéma. Même si beaucoup de films sont un peu trop longs, ils offrent un grand éventail pour des discussions passionnantes. Pour moi, cette année un thème est souvent revenu : la famille sous toutes ses formes, celle des liens du sang, le mariage, la famille recomposée, la famille d’adoption, celle qui se construit par les liens du cœur ou de l’amitié, la famille avec tous ses échecs, ses rivalités, ses haines mais aussi la famille avec les relations fortes qui unissent des personnes parfois très différentes, la famille par choix et pas par hérédité, la famille de cœur.
Famille, amitié, amour, beaucoup d’échecs et pourtant beaucoup d’espoir car cet amour plus fort que nos lois ou nos principes nous projette vers l’avenir. Et le cinéma nous aide à voir plus loin, plus profond, plus universel, à briser nos murs, nos rancunes et nos préjugés, pour voir l’autre, tout autre comme un frère, une sœur et à vivre ensemble dans la paix.
«Si le cinéma peut changer le monde, alors le monde pourra peut-être changer» Wim Wenders, Cannes 2022

Pasteur Denyse Müller