Assassiné alors qu’il venait d’avoir 36 ans, Christian Chessel aura marqué tous ceux qui l’ont croisé. Il laisse, en plus de son témoignage d’amour, le souvenir d’un homme intelligent, humble et soucieux des autres. Témoignages recueillis en avril 2018.

Témoignage du père Jean-Louis Giordan: «Christian portait sur lui une grande bonté»

J’ai connu Christian Chessel lorsque j’étais responsable du service diocésain des vocations (SDV) dans les années 80 (je pense que c’était en 1982 ou 83). C’est son ancien aumônier de lycée d’Antibes, le Père Yves Lombard, qui me l’avait envoyé. Il devait avoir 18 ou 19 ans et venait de terminer des années d’études post bac.
Christian s’est présenté à moi me disant qu’il se posait la question du sacerdoce, mais il ne savait pas trop où se diriger: il hésitait entre devenir jésuite ou entrer au séminaire diocésain. Je lui ai proposé de venir passer quelques jours avec le SDV aux Launes de Beuil, dans le séjour que l’on proposait au mois d’août, pour les jeunes qui voulaient vivre un temps de vie communautaire: le séjour s’appelait «l’Évangile sur la montagne». Il est venu nous rejoindre, il est resté 3 semaines et nous avons pu apprécier ses qualités humaines et spirituelles. À la fin du séjour, il avait pris sa décision: intégrer le séminaire régional d’Avignon, où il va passer deux années. Ensuite il s’orientera vers les Pères Blancs.
À cette époque, un autre Cannois, Hervé Petit, ancien élève du lycée Carnot où j’avais été aumônier, avait lui aussi orienté sa vie vers le sacerdoce et dans la société des Pères Blancs. Hervé a été ordonné en 1991, par Mgr Saint-Macary, à Millau où sa sœur jumelle était Clarisse. Et Christian en 1992, à la Cathédrale de Nice avec ses confrères qu’il avait connu au séminaire, André-Jacques Astre, Éric Rebuffel et Benoît Parent. Le diocèse de Nice avait donc donné deux jeunes pour le service missionnaire. Les évènements ont voulu qu’Hervé attrape une maladie tropicale au Kinshasa et il est décédé le 28 novembre 1994. Et c’est la même année que Christian a été assassiné, le 27 décembre, par des terroristes du Groupe Islamique Armée, en Algérie où il était en mission à Tizi Ouzou.
Christian portait sur lui une grande bonté. C’était un grand priant. Il avait conquis toute l’équipe de l’Évangile sur la montagne. Le père Norbert Turini, alors au SDV avec moi, pourrait en témoigner. Nous sommes très heureux de la décision du pape François de béatifier les 19 religieux et religieuses qui ont été martyrisés dans ces années terribles d’Algérie.
Deo gratias.

Ordination presbytérale de Christian Chessel, le 28 juin 1992,
dans la cathédrale Sainte Réparate, par Mgr François Saint Maccary,
en même temps qu’André-Jacques Astre, Éric Rebuffel et Benoît Parent.

Rencontre avec le père Yves Lombard, accompagnateur spirituel de Christian Chessel, chargée d’émotion et d’humour

Dans quel contexte avez-vous connu Christian Chessel?
Je fus aumônier des collèges et lycées sur Antibes pendant 21 ans. Christian participait à nos activités, dès son entrée en 6e. Il avait fait sa profession de foi en juin 1970 à Notre-Dame de la Pinède à Juan-les-Pins. Un jour, il devait avoir 14 ans, il vient me voir pour me dire: «je veux devenir prêtre». Je lui ai alors répondu de poursuivre ses études et de prier. J’étais assez stupéfait car je ne le connaissais pas plus que ça, c’était déjà sous le signe de la discrétion. Une vocation, c’est Dieu qui en est maître. Je l’ai suivi pendant 22 ans, jusqu’au jour où il fut assassiné. C’était un jeune homme très studieux. J’ai toujours respecté ses choix. Mais il souhaitait être objecteur de conscience pendant son service militaire, je l’en ai dissuadé car je craignais qu’il soit coupé de ses camarades. Il partit donc en coopération deux ans en Afrique, en Côte d’Ivoire, travailler auprès de jeunes défavorisés. Il y a rencontré les Pères Blancs.

Quels souvenirs particuliers gardez-vous de lui?
Discrétion, service et travail. Il était humble par rapport à son savoir et ses connaissances. C’était un vrai bûcheur. Il avait une capacité intellectuelle incroyable. Il a fait de nombreuses études, certaines en anglais. Il avait appris l’arabe et kabyle. D’ailleurs, quand il m’annonça son souhait d’être missionnaire, je n’étais pas d’accord ! Notre diocèse avait besoin de prêtres. Il avait un gros potentiel et pouvait devenir théologien, voire évêque. Mais il voulait être au service, surtout des plus pauvres. Il était discret et intelligent. Moi, je n’ai aucun diplôme et j’ai même eu des études difficiles. Je me retrouvais face à quelqu’un de brillant. J’essayais de répondre à ses questions au fur et à mesure de son cheminement.

Que signifie pour vous cette béatification?
Je n’y vois aucune objection! C’est un signe d’espérance oui, mais de justice aussi. J’ai encore de la colère en moi. Cette béatification peut permettre de mieux le faire connaître. Martyr signifie témoigner jusqu’à donner sa vie pour affirmer que ce qu’il vivait était vrai. Chaque fois que Christian revenait à Antibes, on se retrouvait au sanctuaire de la Garoupe pour discuter et faire le point. Aujourd’hui, à 87 ans, je suis sur la paroisse Saint Nicolas à Cannes et une salle de réunion de l’église Notre-Dame des Pins porte le nom de Christian.

Père Louis Barlet, du diocèse de Mende, fut professeur et supérieur du séminaire interdiocésain d’Avignon

Parlez-nous de votre rencontre avec Christian Chessel.
Christian Chessel est entré au séminaire interdiocésain d’Avignon en septembre 1983 pour se préparer à devenir prêtre pour le diocèse de Nice. Je l’ai connu pendant deux années scolaires, de fin 1983 à mi 1985. Après le premier cycle, il a choisi de partir chez les Pères Blancs Missionnaires d’Afrique, avec l’accord du diocèse de Nice évidemment. Il a pris le même chemin qu’Hervé Petit. Pendant deux ans, j’ai donc marché avec lui, d’abord comme supérieur puis comme professeur.

Quel élève était-il?
Christian était un élève déjà mûr à l’entrée au séminaire. Il avait fait des études d’ingénieur à Lyon, à l’INSA. Il avait passé une licence en lettres modernes et des unités de valeur en théologie. Il avait 25 ans. Sur le plan intellectuel, il était excellent en ce sens qu’il avait l’intelligence et aussi l’application, le goût, la joie de chercher et de trouver. À cela s’ajoutaient les traits d’un homme relationnel, plein de délicatesse, soucieux des autres, avec qui il faisait bon vivre. Je dirais que c’était un homme évangélique.

Quel souvenir en particulier gardez-vous de lui?
Le bon travail qu’il faisait avec un autre jeune qui est devenu moine bénédictin à l’abbaye Saint Benoît d’En Calcat, dans le Tarn. Ils menaient une réflexion avec un groupe d’étudiants de la faculté des lettres d’Avignon. Ils se rencontraient une fois par semaine dans un local qu’ils avaient meublé avec quelques affaires du séminaire. À côté des études qu’il menait de manière excellente, du travail et de la vie de séminariste, Christian avait ce souci de porter l’évangile hors des murs et d’aller vers les autres. Cela lui était naturel, tellement il était relationnel, attentif, délicat, serviable et respectueux.

Quel sens donner à la béatification de Christian Chessel et des martyrs d’Algérie?
Je me souviens de ces jours de fin décembre où l’on apprit la nouvelle. Ceux qui l’avaient connu étaient très tristes. Mais je rejoins là son ami moine à En-Calcat, nous avons de la chance d’avoir déjà dans le monde de Dieu Christian, qui sans doute, de là où il est, peut nous accompagner. Tout cela pour nous aider dès maintenant à donner suite à ce qu’il avait commencé en France, pendant ses études, et en Algérie où il est mort. Une continuité.

Ordination presbytérale de Christian Chessel, le 28 juin 1992.

Père André-Jacques Astre: «Christian essayait de trouver le bien partout»

Christian et moi avons grandi à Antibes mais il était plus âgé que moi de 6 ans. Nous avons eu le même aumônier au collège et lycée, le père Yves Lombard. Le premier contact que j’ai eu avec lui fut juste avant son entrée au séminaire. Il était venu témoigner auprès des jeunes de l’aumônerie de sa démarche. Il était très calme et je me souviens bien qu’il nous avait dit: «prenez le temps du discernement». Personnellement, je me suis toujours posé la question de la prêtrise sans que cela ait une place prédominante. Ensuite, je l’ai côtoyé pendant que je suivais une formation en GFU, groupe de formation universitaire.
J’ai longuement discuté avec lui l’année où il est entré chez les Pères Blancs, en 1985. Il participait alors au pèlerinage à Lourdes. Moi, j’y participe depuis l’âge de 12 ans. Christian m’avait fait part de son parcours pas si facile à faire accepter à tous. Moi, je pensais alors entrer au séminaire. Je n’ai ensuite plus eu de nouvelles pendant quelques années, jusqu’à la décision de notre ordination ensemble. Nous avons alors échangé par courrier, notamment pour l’organisation de la célébration et du repas qui suivait, car Christian était alors à Rome. Pour la célébration, je me souviens que Mgr Aubertin avait amené des chasubles rouges pour tout le monde. Le jeudi suivant notre ordination, Mgr Saint Macary nous avait invité tous les quatre à l’évêché. Nous avons célébré la messe ensemble et Christian l’a présidée. Il savait déjà faire. Il était intelligent, largement au-dessus de la moyenne. Il ne critiquait jamais et essayait de trouver le bien partout.
En décembre 1994, j’étais en Italie. J’ai appris la nouvelle des assassinats des Pères Blancs à la télévision, tôt le matin. Ma vie a opéré un virage à cet instant. J’ai été à l’enterrement, à Villebois. Il faisait très froid. Mgr Saint Macary était bouleversé, comme nous tous. Mgr Pierre Claverie était là, l’évêque d’Oran qui sera à son tour assassiné en 1996. Nous fûmes six à porter le cercueil de Christian, avec notamment les pères Jean-Louis Balsa, Benoît Parent, Éric Rebuffel. Le pèlerinage à Lourdes l’année suivante, en 1995, j’ai essayé de guérir de cette blessure. Mais c’est impressionnant, grave, de perdre un ami, un frère.
Le 28 juin dernier, nous avons fêté avec Benoît Parent et Éric Rebuffel, les 25 ans de notre ordination, le jubilé d’argent, lors d’une eucharistie en la cathédrale d’Antibes, paroisse de Christian. Une messe d’action de grâce, avec une pensée particulière pour Christian, en présence de sa mère et de sa sœur.
La béatification me semble une suite logique, la reconnaissance d’une réalité. Même s’il n’avait pas été assassiné, Christian portait en lui les caractéristiques de la sainteté dans la signification même du terme [Ndlr : une union au Christ à travers la charité et l’amour].

Rencontre chaleureuse avec Marie-Thérèse Chessel, la mère de Christian

Mon mari était militaire. Avant de nous installer à Antibes, nous avions beaucoup voyagé. Ce que Christian a prolongé entre la Côte d’Ivoire, Fribourg en Suisse, Londres, Rome, puis Tizi Ouzou en Algérie. Nous avons ainsi eu la chance d’assister deux fois à une messe privée avec le pape Jean-Paul II, dans ses appartements. C’était très impressionnant.
Quand Christian nous a parlé de sa vocation sacerdotale, nous voulions d’abord qu’il poursuive ses études. On lui avait dit: «Oui, mais attend». Une réaction normale pour des parents. Une sécurité si jamais il s’était emballé dans un élan de jeunesse. Il était très studieux. Je ne l’ai jamais vu avoir une mauvaise note. Puis il a découvert l’Afrique en coopération. Il a donné des cours de mathématiques pendant deux ans en Côte d’Ivoire. Il fut ordonné diacre à Rome et prêtre pour les Pères Blancs à Nice, par Mgr Saint Macary, un homme si gentil. Il a toujours gardé des liens avec nous. Nous gardons un grand souvenir de lui.
À Tizi Ouzou, nous étions allés voir Christian. Il nous informait de la situation dans ses lettres, sans nous faire peur. Il portait le projet de construction d’une bibliothèque sur place, accessible à tous, qui soit un véritable lieu d’étude pour les étudiants et pas juste de consultation de livres. Il avait un diplôme d’ingénieur en génie civil et urbanisme. Il fallait aussi trouver des fonds financiers. Ce projet a continué à prendre forme après lui et la bibliothèque fonctionne toujours aujourd’hui.
En décembre 1994, nous avions passés Noël chez ma fille, à Paris. Puis, juste après, nous sommes allés dans une maison de famille à Villebois, dans le Jura, à 60 km de Lyon, pour y passer le jour de l’an. Il y a des choses qui se passent, quand le destin le veut… Mon mari était en train de réparer un poste de radio que j’avais laissé tomber l’été précédent. Il l’allume et trente secondes après, nous entendons la nouvelle de l’assassinat des Pères Blancs à Tizi Ouzou. On s’est mis à crier. Sur le coup, ce fut très difficile à croire. On essaie d’appeler Tizi Ouzou, sans succès, pareil pour le diocèse. On arrive à avoir les Pères Blancs à Paris qui nous confirment que Christian est mort. Nous avons alors été submergés d’appels téléphoniques. Nous avons choisi de rapatrier le corps de notre fils pour qu’il soit enterré là où nous étions, à Villebois. Le mot tristesse est trop petit. Mon mari et moi étions effondrés et je niais un peu les faits. Il y a eu une telle mobilisation autour de nous, de témoignages, de présence.
Dernièrement, en juin 2017, le père Astre nous avait invités à la cathédrale d’Antibes pour le jubilé d’argent de leur ordination avec les pères Benoît Parent et Éric Rebuffel. La chorale de la paroisse d’Antibes, à laquelle je participe, y a chanté. Il y avait de nombreux prêtres présents.
La béatification, on en avait entendu parlé depuis un certain temps. L’information circulait. À l’automne 2016, les Pères Blancs nous invitent à Lyon pour assister à une réunion où l’on évoquait la demande de béatification. Il ne fallait pas en parler. Puis ma fille, qui suit tout cela pas à pas, a été informée de la décision. Moi, j’y croyais à moitié. Comment l’expliquer. Dans notre cœur, Christian a toujours été le numéro un. Béatifié ou pas, pour nous il est saint ! Je lui parle souvent. Je lui dis quand j’ai des problèmes…
Maintenant, il va devenir un modèle pour tout le monde.

Témoignage du père Didier Dubray

Christian et moi étions proches au séminaire, mais nous nous sommes connus avant. Il circulait toujours à vélo. La première fois que je l’ai rencontré, il venait d’Antibes jusqu’à Vallauris à vélo. Je lui avais alors donné des explications sur le séminaire. Puis, nous avons participé ensemble à «l’évangile sur la montagne», camp organisé aux Launes de Beuil durant l’été. Il était question d’accueil, de chantiers, balades et partage de la Parole de Dieu.
Je garde le souvenir d’un homme toujours paisible, très discret, présent aux autres, fraternel et attentif. C’était un homme de grande humilité. Il était diplômé, intellectuel, sans pour autant se mettre en avant. Il savait discuter avec tout le monde. Il n’en était pas moins exigent avec lui-même. Sa vie spirituelle a rayonné de sa rencontre avec le Christ.
Cette béatification rappelle le choix que ces 19 personnes ont fait de d’être fidèles à leur communauté, à leur mission, là où ils ont été envoyés.

Messe anniversaire de l’ordination des pères Astre, Rebuffel et Parent
en la cathédrale d’Antibes, juin 2017.

Témoignage du père Jean-Luc Molinier, depuis le monastère bénédictin d’Encalcat

J’ai connu Christian Chessel de 1983 à 1985. J’avais 18 ans, j’étais séminariste pour le diocèse de Montpellier et faisais mon premier cycle au séminaire interdiocésain d’Avignon. Christian avait quelques années de plus que moi, je le considérais comme mon aîné; de son côté, il m’a toujours manifesté -malgré mon jeune âge- beaucoup de respect et de délicatesse. Au séminaire, il nous apparaissait comme un homme très fraternel, profondément inséré dans la vie de la communauté, sérieux en toute chose, et, en même temps, toujours un peu ailleurs, mystérieux, témoin d’une autre réalité, plus profonde, celle de la présence de Dieu. Il était souvent recueilli dans sa chambre ; son attitude était naturelle, ce n’était en rien forcé, ou un signe de fuite du réel.
Dans le cadre du premier cycle, une fois par semaine, nous avions un engagement pastoral. Il m’a été demandé d’assurer avec Christian une présence chrétienne auprès des étudiants et d’essayer de mettre sur pied un Centre Catholique Universitaire (CCU). Le père Marcel Hugues, membre de l’équipe des Pères du grand séminaire, nous accompagnait dans cette expérience. Dès le début, l’option de Christian a été celle d’une présence discrète, silencieuse et fraternelle. Nous prenions une table et deux chaises au séminaire et nous traversions ainsi la ville pour nous installer à l’entrée de l’université. Une petite affiche «Centre Catholique Universitaire» indiquait le sens de notre présence. Nous récitions souvent discrètement le chapelet et nous répondions parfois aux demandes de quelques étudiants (rares!) qui nous interrogeaient. Cette constance de Christian a porté des fruits; au bout de trois mois, nous étions vingt et l’aumônerie des étudiants a pu démarrer avec des week-ends spirituels et des rencontres hebdomadaires.
La personnalité de Christian apparaît bien dans cette orientation pastorale: la foi, la prière, la présence aux autres… l’effacement, qui permet à l’amour du Christ de se déployer. Au terme du premier cycle, je suis parti faire ma coopération au Mali, travaillé déjà par la question de la vie monastique. Un soir, j’ai longuement échangé avec Christian sur ce point. C’est là qu’il m’a fait part de son désir d’entrer chez les Pères Blancs, son espoir d’être envoyé dans un pays du Maghreb pour y mener une vie de prière et de présence gratuite. Nous avions convenu que nos vocations n’étaient pas si éloignées l’une de l’autre! Il demeure pour moi un témoin de l’absolu de l’amour de Dieu.