Que de changements, de profonds bouleversements, au sein de la communauté niçoise des Clarisses sur la colline de Cimiez. Ne se sentant plus en capacité d’assumer leur autonomie, les sœurs ont demandé de l’aide. Depuis janvier 2021, Nice est désormais affiliée à la communauté de Poligny dans le Jura. Avec deux ans pour se relancer, pour faire rejaillir la vie. Trois axes sont travaillés dans ce sens: autour de la terre, du culte de sainte Colette et de la communauté elle-même.

Le monastère des Clarisses de Cimiez, tel un phare, veille sur la ville et ses alentours.

Voilà bientôt un siècle que les Clarisses sont installées sur la colline de Cimiez, depuis octobre 1924 et le transfert de la communauté établie à Menton en 1892. Mais, à l’approche de son centenaire, la communauté de Nice vit une étape majeure. «Il y a deux ans, la communauté des Clarisses de Nice a demandé à être affiliée à notre communauté de Poligny, partage celle-ci dans son message de Noël 2021. Après un temps de discernement important, nous avons accepté de vivre cette aide fraternelle. Qu’est-ce qu’une affiliation? Quand un monastère perçoit que ses forces communautaires s’amenuisent et que les sœurs n’arrivent plus à assurer leur vie de Clarisse, alors il y a la possibilité de demander de l’aide à une autre communauté. Pendant un temps déterminé, ici deux ans, la communauté affiliée se remet totalement entre les mains d’une autre communauté et ensemble, elles essaient de retrouver un nouveau souffle pour ouvrir des chemins de vie. Nous vivons une belle communion entre nos communautés, souhaitant vraiment que celle de Nice puisse retrouver un souffle nouveau et rayonner joyeusement à la suite de Jésus pauvre et humble.»

En août 2021, sœur Sandrine-Marie et sœur Françoise-Marie, professes temporaires, sont parties continuer leur formation avec le noviciat de Poligny, à sept-cents kilomètres. Et à l’automne, des renforts sont arrivés sur la Côte d’Azur : deux sœurs du Jura venues pour deux ans -sœur Claire Élisabeth, installée officiellement comme supérieure locale en octobre, et sœur Marie Catherine- et trois sœurs de Madagascar envoyées pour trois ans -sœurs Félicité, Simone et Marie-Michelle- Nice ayant fondé la communauté d’Antsirabe. Ce printemps 2022, quinze sœurs sont ainsi présentes au monastère Sainte-Claire. Elles ont la joie d’accueillir un nouvel aumônier, le père Jean-Louis Gazzaniga, nommé le 13 janvier 2022 par Mgr Marceau. Une présence importante pour développer l’accueil spirituel de ce lieu: l’aumônier a un service d’écoute, de confession, d’accompagnement, de formation spirituelle…

Au milieu des jardins partagés, sœur Claire Élisabeth entourée de trois heureux jardiniers, Jacqueline, Philippe et Gilbert.

Un potager a été créé à l’intérieur de la clôture, ainsi qu’un poulailler et un clapier.

Jardins partagés, potager, poules et lapins
«Quand je suis arrivée ici, la première fois, j’ai été touchée par la tristesse de la terre. Car ce lieu est très beau en soi mais j’ai entendu une tristesse.» Pendant les premiers mois de l’année 2021 -les premiers instants de l’affiliation- sœur Claire Élisabeth a visité à deux reprises la communauté niçoise. Elle était encore abbesse de Poligny et, de fait, de Nice. En mai 2021, une nouvelle abbesse, sœur Anne-Lise, a été élue, et l’a alors nommée supérieure locale. «La terre avait besoin qu’on lui permette de retrouver l’élan de la vie, les oliviers d’être taillés; il y avait un grand champ avec quelques jardiniers, mais peu de vie par rapport à ce que ce lieu peut donner.» D’où l’idée, dans la dynamique des encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti, d’entrer dans une démarche d’écologie intégrale, de prendre soin de la terre et des pauvres ; et de faire de cet axe un des lieux de résurgence de la communauté. «La vie d’une communauté est fragile et a besoin que l’on en prenne grand soin. Parfois, les évènements, les décisions prises ou non prises, les épreuves de la vie font que, un jour, appuyées sur la foi en Jésus-Christ, il faut oser quelque chose de nouveau.»

Pour faire repartir la terre, un projet était déjà bien en route fin avril 2022, mené avec l’APPESE (Association pour la promotion de la prévention et de l’économie sociale en Europe); la communauté l’a contactée par le biais du pôle Solidarités du diocèse. «Il y a douze jardiniers pour douze jardins partagés; et trois parcelles solidaires pour la pastorale des migrants, par exemple, ou le Secours catholique, pour des familles avec des enfants qui portent un handicap; et les jardiniers vont cultiver un jardin pour notre communauté.» Une autre partie du champ va être confiée à un paysan pour une culture urbaine en économie sociale et solidaire. Et au sein de la clôture -le terrain de vie des religieuses- un potager a été créé, ainsi qu’un poulailler et un clapier. Les poules et les lapins ont été offerts durant le Carême par une aumônerie et des particuliers. «Nous avons trois lapins, quinze poules, nous commençons à avoir nos œufs. Puis, nous allons planter un petit verger d’agrumes pour notre consommation.» Autant de nouveautés qui permettent de tisser des liens. «Il y a des fraternités franciscaines séculières, des laïcs, qui viennent: une fraternité de Poligny nous a aidées à construire le poulailler et défricher le terrain, d’autres personnes viennent nous aider un samedi par mois. En lien avec la pastorale des migrants, nous accueillons Alfred, un jeune mineur isolé qui habite à l’hospitalité; il nous aide au jardin. C’est beau de voir ça.» Quant aux oliviers présents sur les quatre hectares de terres, ils ont retrouvé de la tenue grâce à des personnes handicapées d’un ESAT (Établissement ou service d’aide par le travail).

À Nice, le monastère n’a pas été fondé par la réformatrice des Clarisses. Mais sainte Colette est venue dans la ville azuréenne le 14 octobre 1406 pour faire profession entre les mains du pape. Benoît XIII la nomma alors abbesse de tous les monastères qu’elle sera amenée à fonder ou réformer.

 

Un lieu spirituel à revivifier
Pour sœur Claire Élisabeth, il est une évidence: «Ce monastère veille sur la ville. Regardez sa position géographique; d’où nous sommes, nous voyons tout Nice, la côte, l’arrière-pays, c’est extraordinaire! Le monastère est comme un phare. Et ici, Jésus est présent. S’il y a une source spirituelle, il faut la désensabler. Il faut vraiment que tous ceux qui ont soif puissent venir y boire.» Or, le culte de sainte Colette était jusqu’à présent peu mis en valeur, et il n’y avait pas de relique de sainte Colette dans la chapelle. «Certes, la fête de sainte Colette était bien célébrée le 6 mars, mais la chapelle n’était pas à proprement parlé un lieu de pèlerinage. Et comme je viens d’un lieu de pèlerinage, ça m’a marquée tout de suite. » Car, dans le Jura, le monastère a été fondé par sainte Colette en 1415; et c’est dans ce lieu que son corps fut transporté après sa mort. «Nous sommes dans une petite ville. Il y a une très belle relation avec la population, pas seulement les voisins, mais au niveau régional et même au-delà. Les gens viennent prier, tous les jours, nous rencontrer à cause de sainte Colette, parce qu’il y a sa châsse; ils nous offrent de la nourriture, nous confient leurs intentions de prière, leurs soucis, leurs peines, leurs joies. C’est une dynamique de vie très simple et très belle. Nous sommes vraiment dans un lieu de dévotion populaire.» Cette dynamique, la supérieure locale aimerait la voir se développer à Nice. «Beaucoup de monde vient au monastère, pour profiter des salles que les sœurs louent ou prêtent. Finalement, ce sont des personnes qui viennent, utilisent les salles, puis partent. Or, nous sommes un ordre mendiant, un ordre qui vit de dons et entièrement de dons. Mais c’est dans un don circulaire, car pour nous la relation est fondamentale. Nous avons aussi quelque chose à offrir: nous offrons cet espace de paix, de vie, d’écoute. C’est la vie de Dieu qui circule.»

Mgr Marceau a été réceptif à cet appel. Lors du triduum organisé pour la sainte Colette 2022, du 4 au 6 mars, il a installé dans la chapelle du monastère une relique venue de Poligny; sainte Colette de Corbie est particulièrement priée pour la vie, par les couples qui désirent ou attendent un enfant. Le même-jour, l’évêque de Nice publiait un décret signifiant: «Nous reconnaissons le monastère de Sainte-Claire des Clarisses de Cimiez comme lieu diocésain de prières pour la promotion de la Vie humaine, en continuité de l’œuvre de Sainte-Colette. Nous permettons toutes célébrations ou activités pouvant servir cette cause si noble.»

Fête de sainte Colette 2022 au monastère de Nice, rencontre et partage autour du verre de l’amitié (photo Sandrine Legras).

Construire le chemin intérieur de la communauté
L’affiliation doit aussi aider la communauté de Nice à travailler un troisième axe: «Permettre aux sœurs de voir ce qu’elles vivent déjà de beau et de bon entre elles, et le faire grandir.» Et faire rayonner, en communauté, la joie profonde d’appartenir au Christ et de le suivre. «C’est un corps qui vit, qui vibre de la grâce de Dieu. C’est en vivant l’Évangile selon la Règle de sainte Claire, Règle vieille de huit-cents ans, que nous faisons grandir ce corps du Christ que nous formons ensemble. Notre vocation profonde, c’est d’être pour notre monde d’aujourd’hui l’image du Christ pauvre et humble. La contemplation de Jésus, normalement, doit nous amener, c’est sainte Claire qui le dit, à être comme des miroirs qui rayonnent la lumière de Dieu. Une communauté de sœurs pauvres, elle est là pour ça. Pour permettre à la lumière de Dieu d’éclairer tout ce qui l’entoure. Ça se construit en vivant l’Évangile, en se pardonnant mutuellement, en creusant le chemin vers Dieu personnellement et communautairement, en se convertissant à Dieu.» Ce travail se vit notamment lors des chapitres. «Chaque semaine, sainte Claire demande que les sœurs se réunissent en chapitre pour écouter l’Esprit Saint ensemble dans leur vie quotidienne, et pour discerner ensemble qu’elle est la volonté de Dieu.» Répondre à la demande de témoignage d’un groupe, s’interroger sur l’achat d’une voiture, préparer les jours saints… «On appelle cela le discernement. Jusqu’à se dire: mais comment allons-nous pouvoir accueillir ceux qui viennent à nous?» Et continuer ou commencer l’accueil, par exemple, des scouts et guides de France et d’Europe, d’ateliers d’icône et d’enluminure, de cours de l’Institut régional de formation sanitaire et sociale de la Croix-Rouge, de parents d’enfants malades, de la pastorale des migrants pour l’action Kitensac… « Nous, nous sommes en recherche de chemins pour vivre, mais cette recherche-là est ouverte à d’autres qui cherchent aussi à vivre.»

Pour avancer, pour décider de l’avenir, un rapport sera envoyé -certainement aux alentours de Pâques 2023- à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique (CIVCSVA) à Rome. «Le discernement va être fait avec la Congrégation, avec l’évêque de Nice, avec la communauté de Poligny et avec notre ordre c’est-à-dire la présidente fédérale. C’est très réfléchi. On n’est pas tout seul à essayer de se dépêtrer. On est vraiment aidé avec beaucoup d’intelligence je trouve. Ils n’attendent pas qu’il y ait des résultats patents en deux ans, ce n’est pas possible, mais qu’il y ait un vrai mouvement de vie.» Dans sa mission temporaire, sœur Claire Élisabeth n’arrive pas en terrain inconnu, elle est niçoise de souche, a grandi à Nice. «J’ai été au service des vocations, au foyer Saint-Paul, au CCU, le Centre catholique universitaire… Je suis entrée chez les Clarisses de Nice en 1985, avant de partir à Poligny en tant que professe temporaire. J’y ai fait profession solennelle. J’ai été au service de l’autorité pendant dix-huit ans. Ça donne un peu d’expérience pour vivre ce qu’il y a à vivre aujourd’hui.» De la fête de sainte Colette du mois de mars 2022, elle retient beaucoup d’amitié et de joie. «Avec des personnes que je ne connaissais pas, ou peu. Et un commencement, quelque chose qui commence. Qu’est-ce que ça sera, je ne sais pas. Mais tout ce qui commence est beau à observer, à protéger pour que ça grandisse. N’ayez aucune crainte, dit sainte Claire, Dieu est fidèle en ses promesses et saint dans ses actions.»

Denis Jaubert

Monastère Sainte-Claire

30, avenue Sainte-Colette 06100 Nice
Tél. 04 93 81 04 72
clarissesdenice@gmail.com
clarissesdenice.org